dimanche 18 janvier 2009

La légende de Saint Rouin


Beaulieu-en-Argonne / Ermitage Saint Rouin (55)



La légende :


Vers 640 Saint Paul, évêque de Verdun, proposa à son ami, Saint Rouin, de venir s’installer sur les possessions verdunoises pour y fonder un nouveau monastère. Saint Rouin accepta l’invitation et choisit pour s’implanter, le paisible cœur de la forêt de l’Argonne.


Le lac de l'ermitage Saint Rouin


Malheureusement, le calme nécessaire à la prière ne fut pas long car Austrèse, le seigneur d’Autrécourt et des lieux où entreprit de s’établir Saint Rouin, vint chasser le moine non sans l’avoir fait copieusement fouetter. Saint Rouin obligé de quitter sa retraite partit en pèlerinage à Rome, pour aller prier sur les tombeaux des apôtres.

Peu après le coup de force d’Austrèse, le seigneur et sa famille tombèrent tous gravement malades et rien ne put les guérir.

Alors qu’il priait à Rome, Saint Rouin fut interpellé par Saint Pierre du fond de son sépulcre : « Retourne dans ton désert : tu as été battu de verges ; mais le Christ ne l’a-t-il pas été plus que toi dans sa douloureuse Passion ! »


Saint Pierre


Saint Rouin voyant dans ces mots un miracle, suivi le message du père de l’église et regagna l’Argonne. De retour sur les terres de son sévisse, il guérit l’irascible seigneur en lui faisant boire l’eau de la source à quelques distances du lieu dévolu au monastère.

Austrèse reconnaissant du miracle du saint homme, lui offrit la terre nécessaire à son monastère et vint même travailler de ses propres mains à son édification.

Saint Rouin fit rayonner son monastère, et, presque centenaire, se retira dans un petit ermitage voisin, qui porte encore son nom.


L'ermitage actuel au milieu de la forêt argonnaise



La réalité :


Saint Rouin, un moine irlandais de plus ?


Tout d’abord revenons quelques instants sur le nom de Saint Rouin, qui est le nom sous lequel il est connu, mais qui ne correspond pas a son véritable patronyme. Il semblerait que son nom soit Rodingue ou Chraudingue (ou suivi du suffixe –us). Pour ne pas alourdir le texte de la légende, j’ai opté pour Saint-Rouin, même si Chraudingue, est tellement plus délicieux…


On trouve parfois deux origines géographiques pour notre Chraudingue. Il est parfois écossais et parfois irlandais. En fait, son origine ne fait pas vraiment débat : il est irlandais. L’abbé Clouet nous en donne la raison : l’origine écossaise du moine serait postérieur au 11ème siècle, période du recueil des légendes par l’abbé de St Vanne. Ce même auteur juge l’origine écossaise de Saint Rouin peu crédible (pour des raisons que je vous épargne). Saint Rouin serait donc un moine irlandais de plus à venir s’installer en Lorraine à l’instar de Saint Colomban ou encore Saint Gibrien.


Richard, l’abbé de Saint Vanne qui collecta la légende nous raconte également comment Saint Paul de Verdun aurait demandé à Saint Rouin de venir s’installer sur « ses » terres. Saint Paul dirigea un temps l’abbaye de Tholey et parmi ses moines figurait Chraudingue. Celui-ci prit d’ailleurs la direction de l’abbaye lorsque Saint Paul quitta l’abbaye pour le siège épiscopal de Verdun.


Saint Paul de Verdun, à l'initiative de l'installation de Saint Rouin, selon la légende



Une source miraculeuse pour apporter de l’eau au moulin ?


La variante qui me semble majeure dans cette légende est la notion de « source ». J’ai opté pour la faire figurer dans ma version, mais le texte le plus ancien dont je dispose n’en fait pas état. Il est fort possible que la guérison par l’absorption de l’eau de la source soit un aménagement plus tardif de la légende. Tout d’abord parce que dans l’inconscient populaire l’eau est souvent chargée de pouvoirs magiques, liés notamment à la guérison. La déformation orale à donc très bien pu l’adjoindre à la version originelle. Ensuite, peut être, parce que avoir une source miraculeuse c’est bon pour le « commerce » et en plus ça permet de rapporter un petit souvenir. Toujours est il que les versions récentes mentionnent cette source. Et ça tombe bien car il existe une source au niveau de l’ermitage : la fontaine des deux nœuds.


La débordante, que dis-je, la bouillonnante fontaine des deux nœuds


Il est possible qu’il s’agisse de celle de la légende, puisqu’au 13ème siècle on affirmait que « les malades accouraient de toute parts, principalement ceux qui souffraient de la fièvre ; ils puisaient à la fontaine voisine une eau miraculeuse qui leur rendait la santé. » Toutefois l’eau ne sauva pas en 1610 les deux religieux et leur domestique qui moururent de la peste dans l’ermitage.



La visite va commencer : l’ermitage Saint Rouin.


Selon notre légende, Saint Rouin après avoir vécut plus que centenaire, se retira dans un ermitage voisin, celui de Bonneval, connu maintenant sous le nom d’ermitage Saint Rouin. Alors évidemment si ce n’est la fontaine vu précédemment qui glougloute toujours, les choses ont bien changé, mais je vais faire là une petit digression pour vous inviter à y faire un tour. Dans un écrin de verdure, se trouve une chapelle des plus étonnante puisque résolument moderne au milieu de la végétation luxuriante des lieux.


Il est impératif de pénétrer la chapelle pour s'imprégner de la lumière des vitraux


A noter aussi un superbe retable du 18ème en haut de son promontoire, dans un style beaucoup plus classique.

Il existe toujours, le 17 septembre, une célébration à l’ermitage en mémoire du saint. Cette fête correspond à la date de la mort du moine en 680.


Ben... euh... un retable... mais un de compet'...



Beaulieu en Argonne. N’oubliez pas le guide.


Le monastère de la légende, c’est celui de Beaulieu-en-Argonne, connu avant l’an mille sous le nom de monastère de Wasloge. On y trouvait d’ailleurs la tombe de Saint Rouin, qui aurait disparut lors de l’incendie de 1297. L’institution fut dédiée à Saint Maurice. Si la réputation du monastère en lui-même ne semble pas avoir été exceptionnelle, l’implantation de l’abbaye permit à 18 villages de sortir de terre. Aujourd’hui vous ne verrez plus grand-chose du monastère, si ce n’est un énorme pressoir en bois du 13ème (mais bien sûr de facture récente) et le superbe village de Beaulieu qui n’a pas volé son nom.


Pour le voir il faut rentrer dans un des bâtiments de la petite place. Attention, c'est discret.




Plan :


Voici le plan pour vous rendre à l'ermitage Saint-Rouin. Il se trouve entre Beaulieu et Futeau. Il existe de très belles promenades à faire en partant par exemple de Beaulieu.



Légendes thématiquement proches :




Légendes géographiquement proches :




Bibliographie :


Histoire ecclésiastique de la province de Trèves et des pays limitrophes – Abbé Clouet. 1844. Tome 1 – Pages 610-615 Où vous trouverez une belle version de cette légende.


Pouillé du Diocèse de Verdun – Ermitage de Saint-Rouin ou de Bonneval. Abbé Robinet. 1888. Pages 680-683 Une source intéressante pour connaître l’état de l’ermitage fin 19ème.


An Ecclesiastical History of Ireland [etc.] John Lanigan. 1829. Tome 2. Pages 491-492.


Site officiel de Beaulieu-en-Argonne : http://www.beaulieu-en-argonne.com/ Pour l’instant beaucoup de pages sont encore en construction. Mais rendez vous en vrai dans ce village perché ;)


Verdun – Bienvenue en Meuse – La chapelle Saint-Rouin : http://verdun.over-blog.net/article-18475801-6.html Où Bertaga dépeint avec humour sa version de la légende de Saint Rouin et vous emmène visiter l’ermitage actuel.


Le guide du Routard – Lorraine 2007-2008. Page 276. Et d'autres guides de peu d’importance.



Iconographie :


Tête de Saint Pierre : Giacinto Brandi. 17ème. Musée des Beaux Art de Bordeaux.